Sound-Devices : l’interview

Paul Issacs, directeur du développement technique et Vojtech Pokorny, directeur des ventes Europe, étaient de passage dans les locaux parisiens de VDB Audio, leur nouveau distributeur français. Entre workshops et réunions diverses, ils répondent à nos questions, motivées en partie par l’actualité très riche de ces derniers mois. L’occasion de faire le point sur la stratégie produits après l’acquisition d’Audio Ltd, mais aussi d’échanger des idées sur le futur des outils de production audio portables.
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Entre l’acquisition du spécialiste de la HF Audio Ltd, actuellement en pleine mutation vers le numérique, le développement de la gamme MixPre, l’élargissement de la gamme vers le marché musique, les questions tant techniques que marketing ne manquent pas.

À la fois musicien et ingénieur de formation, Paul Isaacs est d’origine anglaise et a rejoint la firme établie dans le paisible état du Wisconsin depuis une dizaine d’années. Multi-casquette, il supervise notamment la conception et le cahier des charges des produits (hardware/software), l’interface utilisateur et effectue la liaison entre technique, sales et marketing. Il a travaillé auparavant pour de nombreuses structures, dont HHB chez qui il a notamment présidé à la conception du PortaDAT. Né à Prague, mais basé à Berlin depuis longtemps, Vojtech Pokorny est aujourd’hui directeur des ventes Europe. Auparavant directeur de la photographie et caméraman reconnu dans le milieu du documentaire, il a travaillé dans le secteur de la vidéo avant de rejoindre, il y a trois ans, le bureau berlinois de Sound-Devices qui comporte aujourd’hui une dizaine de personnes principalement spécialisées dans le support technique et la maintenance.

 

Benoît Stefani : À propos de la nouvelle et étonnante gamme MixPre, pouvez-vous préciser son positionnement et quels ont été les choix qui ont guidé sa conception ?


Paul Isaacs : L’idée qui a motivé la gamme MixPre était de pouvoir donner accès à la technologie et la qualité Sound-Devices à un public plus large. Jusqu’à présent, nos produits s’adressaient quasi-exclusivement à des ingénieurs du son, donc cela nous semblait logique commercialement et technologiquement d’étendre notre audience en proposant des produits également utilisables par les vidéastes, podcasteurs, youtubeurs et musiciens. Mais pour nous, le plus important est d’y parvenir en restant fidèle aux fondamentaux de la marque, ce pour quoi elle est connue, à savoir la qualité de construction et la qualité audio. Évidemment, afin de toucher une audience plus large, il nous fallait réduire le prix et donc les coûts de production en enlevant ou simplifiant certaines fonctionnalités présentes sur les séries 6 ou 7.

 

B. S. : Est-ce que votre but n’était pas de contrer des marques comme Zoom ou Tascam ?


P. I. : Bien sûr, nous prenons en compte cette concurrence, mais ce qui nous motive avant tout en tant que constructeur, c’est de grandir et de développer la marque. D’ailleurs cela va sans doute vous surprendre, mais le projet de développement de la gamme MixPre a été initié avant que Zoom ne lance ses produits.

Vojtech Pokorny : J’ajouterais que les gammes sont complémentaires et s’adaptent en fonction du projet. Par exemple, je connais bon nombre d’utilisateurs de 688 qui possèdent également une 633 ou une petite MixPre-3 ou 6, ce qui va leur permettre de travailler sur des séquences dans le coffre d’une voiture, ou de les emporter sur des tournages extrêmes à 8 000 mètres d’altitude…

P. I. : Avec la gamme MixPre, nous avons eu également le souci de nous adresser à des utilisateurs pour qui l’audio n’est pas nécessairement le domaine de prédilection. Par exemple, certains vidéastes ou podcasteurs ne vont pas nécessairement maîtriser toutes les subtilités liées à une structure comprenant plusieurs étages de gain (gain d’entrée et niveau de fader NDLR). C’est pourquoi nous voulions développer une architecture audio qui permette au besoin de simplifier les choses grâce aux niveaux d’utilisation Basic et Advanced. En mode Basic, l’utilisateur n’a juste qu’à brancher son micro et à tourner ensuite le potentiomètre correspondant jusqu’à ce que les indicateurs de niveaux soient au vert sans se soucier davantage de leurs réglages. C’est important pour nous de pouvoir satisfaire cette demande, sans pour autant aliéner les utilisateurs plus expérimentés.

 

B. S. : Allez-vous encore davantage développer cette gamme ?

P. I. : La gamme est toujours en perpétuelle évolution. Après les MixPre-3 et 6 il y a un an, puis six mois après, la 10-T avec huit entrées et le Time-Code pour la prise de son à l’image, voici maintenant la 10-M, une véritable station audio portable pour la production musicale incluant toutes les fonctionnalités nécessaires : overdub douze pistes, punch In/Out, bounce (réduction en interne de plusieurs pistes vers une seule), métronome, réverbération, Vocal Air, import export, sans oublier les préamp Kashmir class A. Il est important de noter que toutes ces fonctions seront disponibles sous la forme d’un plug-in optionnel disponible pour tous les utilisateurs de MixPre 3, 6 ou 10-T. Une fois cet upgrade installé, l’utilisateur pourra choisir dans le menu projet le mode Music ou Audio, et bénéficier de toutes ces fonctionnalités, y compris le fonctionnement en 12 pistes (via un système de banque de faders comme sur une surface de contrôle NDLR).

 

B. S. : Vos projets pour le marché Pro ? Allez-vous continuer à développer la Série 7 ?


P. I. : Comme vous l’avez peut-être remarqué, chez Sound-Devices, nous ne communiquons pas à l’avance sur nos nouveaux développements… J’ajouterai juste que si vous regardez l’évolution de nos produits et de nos firmwares, vous constaterez que nous sommes toujours très à l’écoute des désirs et remarques de nos utilisateurs… Concernant les enregistreurs de la Série 7, ils sont disponibles depuis bientôt 12 ans et sûrement encore très utilisés, mais ces produits ne peuvent plus guère évoluer, car ils sont basés sur une technologie trop ancienne pour pouvoir y recevoir de nouvelles fonctionnalités.

 

B. S. : Comment expliqueriez-vous la différence entre un enregistreur et une mixette aujourd’hui ? Où se trouve la frontière ?

P. I. : Ah question intéressante ! Aujourd’hui nous avons effectivement des enregistreurs qui mixent et des mixeurs qui enregistrent (rires). Le fait qu’on les classe dans l’une ou l’autre catégorie tient plus de l’historique des produits que de leurs possibilités intrinsèques. Historiquement, chez Sound-Devices, il y a eu d’un côté la catégorie mixeur avec la 442, un mixeur 4 canaux, puis la 552 qui reprenait la même base avec un petit enregistreur deux pistes sur SD, et puis ensuite avec la série 6, évoluant vers la 664, 633 et 688. Ces produits contiennent quand même plus de commandes tactiles dédiées au mixage, tandis que sur un enregistreur, l’accent est davantage mis sur l’enregistrement. Sur la série 7, au départ les ingénieurs du son faisaient le mix sur un mixeur séparé, puis avec la 788, nous avons offert la possibilité d’effectuer un mixage numérique avec la CL8 et la CL9.

 

B. S. : Quel futur pour les mixeurs analogiques qui n’enregistrent pas ? Peut-être une exploitation dans des milieux plus hostiles ?


P. I. : Tous nos produits sont très solides et peuvent être utilisés en environnement hostile. Une MixPre avec son châssis en aluminium moulé et son écran tactile en Gorilla Glass peut supporter de passer sous une voiture. L’essentiel de la demande va sans doute plutôt vers des produits avec enregistreur.

V. P. : Les ventes de mixeurs se maintiennent malgré tout. Nous avons en Europe des chaînes de TV qui ont encore des flottes importantes de 302 et qui continuent d’investir dans ces mixettes parce qu’elles correspondent parfaitement à leur activité et à leur workflow. Il y a donc toujours un marché pour la mixette traditionnelle.

 

B. S. : En quoi le marché français pour Sound-Devices se singularise-t-il ?


V. P. : C’est un des marchés européens les plus importants pour Sound-Devices en termes de volume, mais aussi en termes de retour client. Les Français sont par exemple plus exigeants, notamment sur la qualité de son, et nous prenons leurs remarques toujours au sérieux.

 

B. S. : Revenons au marché des mixeurs/enregistreurs : que dire du mixage automatique ?


P. I. : Nous sommes la seule société qui propose réellement des fonctionnalités d’aide au mixage sur des appareils portables. Sur la 633 et 688, cette fonctionnalité est disponible en standard. L’utilisateur peut choisir entre deux algorithmes d’aide au mixage : Dugan Automixing ou MixAssist. C’est d’ailleurs l’un des sujets que nous avons abordés durant notre atelier organisé par VDB Audio. Généralement, nos retours utilisateurs laissent penser que Dugan fonctionne mieux avec un nombre réduit de micros avec une réduction du bruit de fond plus en douceur, tandis que MixAssist semble plus efficace avec un plus grand nombre de micros ouverts en réduisant plus efficacement le bruit de fond.

 

B. S. : Quid de l’intégration des systèmes HF dans le futur après l’acquisition d’Audio Ltd ?


P. I. : C’est déjà une réalité sur la 688 et l’option SL-6. Mais comme vous vous en doutez, les choses vont encore progresser. C’est une progression naturelle pour nous qui remonte à notre collaboration autour du SuperSlot où nous avons apprécié leur philosophie qui est proche de la nôtre. Audio Ltd a toujours mis l’accent sur la qualité audio et est généralement considéré dans le monde de la HF comme le meilleur sur ce plan. Nous gardons le nom parce que la marque est connue et reconnue, mais la fabrication et la conception seront désormais assurées par Sound-Devices, en conservant bien sûr le savoir-faire et la matière grise initiale de l’équipe actuelle qui est désormais intégrée. Audio Ltd devient en fait la succursale anglaise de Sound-Devices en assurant la distribution de l’ensemble des produits sur le sol anglais.

À propos des systèmes HF, je tiens à rajouter que le A10 et le standard SuperSlot offrent des possibilités incroyables. Le système HF numérique A10 est déjà loin devant la concurrence en termes de qualité audio. Il faut rappeler qu’il n’y a plus aucun artefact lié au compandeur, qu’il propose la latence la plus basse du marché (2 ms), l’enregistrement dans l’émetteur, l’alimentation 48 V, le time-code et le contrôle à distance via Bluetooth… Le récepteur peut travailler en mode Superslot ou analog XLR simplement en changeant la base avec quatre vis. Nous avons également annoncé au NAB l’arrivée d’un module A10 rack qui sera disponible d’ici quelques mois. Il s’agit d’un rack 1U doté de quatre slots au format SuperSlot, soit un total de huit canaux avec sorties analogiques, AES et Dante, l’ensemble étant compatible Audio Ltd évidemment, mais aussi Wisycom, Sennheiser et Lectrosonics. Alimentable en DC 10-18V, le rack peut être cascadé pour obtenir seize canaux, et s’adresse plus particulièrement à une exploitation en roulante, mais aussi en broadcast, TV, théâtre, opéra…

 

B. S. : Est-ce que la HF analogique appartient au passé ?


P. I. : Oui, car la HF numérique apporte de nombreux avantages que l’on peut déjà constater avec notre série A10. Il faut également mentionner la possibilité d’avoir une meilleure portée avec moins de puissance et la faculté de proposer plus de canaux dans un espace RF plus restreint (20 liaisons par canal de 8 MHz). Je ne vois pas où sont encore les avantages de l’analogique à ce stade.

 

B. S. : Vous semblez ne pas trop vouloir fermer le marché…


P. I. : Nous ajouterons évidemment des fonctionnalités spécifiques pour la gamme A10, mais c’est le principe du SuperSlot de rester ouvert aux autres fabricants.


V. P. : Nous comprenons parfaitement la position de nos utilisateurs qui ont beaucoup investi lors de l’acquisition d’un système HF concurrent et nous ne pouvons ni ne souhaitons leur tourner le dos.

 

B. S. : Pensez-vous que la communauté audio pourra bénéficier des avancées en matière de batteries et de chargement issus de l’industrie des télécoms ou de l’automobile ?


P. I. : Il y a effectivement beaucoup de recherche sur la chimie des batteries actuellement, et je pense que nous allons voir les technologies Lithium et Lithium/Ion être assez rapidement frappées d’obsolescence. C’est un aspect essentiel dans la conception de matériel portable et nous suivons toutes ces évolutions de très près chez Sound-Devices.

 

B. S. : Comment répondez-vous à la demande pour le son 3D type Ambisonic ou binaural ?


P. I. : De nombreux fabricants de microphones comme Sennheiser, Røde ou Octava montrent leur intérêt pour la technologie ambisonique et cet intérêt est sans doute poussé au départ par l’industrie du jeu, de la réalité augmentée, etc. Sound-Devices y voit une vraie tendance et bien que l’Ambisonic ne soit pas une technologie nouvelle, elle ré-émerge aujourd’hui car c’est le format le plus efficace pour produire dans un contexte de surround. C’est un format totalement indépendant du dispositif d’écoute, qui laisse donc le choix du système de diffusion. Donc nous lançons cet été une nouvelle mise à jour gratuite qui apportera le support de l’Ambisonic pour les MixPre-6 et 10-T (cf. notre news sur le sujet). Concrètement, cela signifie qu’un microphone comme le Sennheiser Ambeo qui fournit un signal au format A peut, sur une MixPre, être contrôlé au casque en stéréo ou en binaural et converti au format B (AmbiX et FuMa) pour la livraison. Dès que l’utilisateur sélectionne le mode Ambisonic, quatre canaux deviennent automatiquement jumelés pour le gain. D’autre part, les paramètres Up, Down, Horizontal permettent à l’utilisateur de corriger l’image 3D à la prise.

 

B. S. : Que penseriez-vous d’un standard qui puisse transmettre en postproduction les mouvements de faders sur les pistes isolées ? Cela serait-il possible et souhaitable ?


P. I. : Ce serait possible et j’y réfléchis depuis de nombreuses années. Effectivement, ne pas être obligé de fixer le mix définitif effectué à la prise, mais plutôt le transmettre dans les métadonnées du fichier apporterait un réel progrès dans le workflow, un peu à la manière dont les LUT sont utilisés aujourd’hui en vidéo. À mon sens, ceci doit faire partie d’un standard ouvert et le meilleur standard que nous ayons actuellement est le Broadcast Wave Format.

 

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #27, p. 34-36. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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