Aux États-Unis, on affirme que l’avenir des VFX est dans la série TV. Il faut dire que les succès de productions comme Game of Thrones ont largement contribué à envisager le petit écran comme un levier de croissance important pour les prestataires. Mais une ou deux productions de série ou d’unitaire ambitieuses, dotées de budgets confortables et portées par un sujet gourmand en effets visuels, ne doivent pas pour autant cacher la réalité. Une réalité qui rime avec débrouillardise, créativité et, pour les créatifs, des contraintes budgétaires.
Un marché à la recherche du genre
Si l’on peut désormais évoquer le sujet des VFX sur le petit écran, c’est que les exemples ont commencé à fleurir il y a quelques années, plus précisément en 2011 avec Game of Thrones. Adaptée de la saga de George R.R. Martin, la série connaît très vite un énorme succès (y compris en piratage). Son univers d’Heroic Fantasy nécessite l’usage de beaucoup d’effets visuels. De nombreux studios VFX, jusque-là dédiés au long-métrage et à la pub, se voient confiées des séquences de plus en plus audacieuses.
Pour Christoph Malessa, responsable du studio Pixomondo à Stuttgart, cette évolution est intrinsèquement liée « à un storytelling de plus en plus créatif et complexe. Lorsque les chaînes ont compris que les publics pouvaient être attirés par des programmes dont l’intrigue serait plus longue et complexe qu’un long-métrage, la valeur globale de la production a augmenté. Le cas de Game of Thrones est, en cela, exemplaire ».
Le studio allemand, qui dispose de filiales à Los Angeles, Francfort, Pékin, Toronto, Munich, Shanghai et Bâton Rouge, en sait quelque chose puisqu’il a travaillé sur la série de HBO. « En 2014, près d’un quart de notre activité provenait de programmes audiovisuels, principalement réalisés dans nos studios de Francfort et Stuttgart ». Parmi les séries emblématiques, outre GoT, Pixomondo a travaillé sur Sleepy Hollow pour la Fox et Marco Polo, la série inédite produite et diffusée par Netflix.
Dans tous ses exemples, le point commun est incontestablement le fantastique ou l’Histoire avec un grand H qui, de fait «demande beaucoup d’effets pour rendre ces mondes crédibles », précise le patron de Pixomondo.
Des diffuseurs de plus en plus concurrencés
Si la créativité des auteurs n’est pas à écarter, c’est peut-être bien du côté des diffuseurs que le mouvement est le plus perceptible. En France, l’incursion – couronnée de succès – de Canal+ dans des productions audacieuses, tant dans le fond que dans la forme, a entraîné une remise en cause des fenêtres historiques comme France Télévisions ou TF1.
Plus largement, l’arrivée d’une offre concurrentielle haut de gamme issue du numérique a totalement changé la donne. « C’est vrai que l’on peut affirmer que la qualité des productions proposées sur de nouveaux canaux de diffusion comme Netflix et Amazon Prime a largement accru la compétitivité entre diffuseurs », confirme Christoph Malessa. « Sans parler d’une audience de plus en plus exigeante vis-à-vis de leurs chaînes historiques. Un excellent storytelling, souvent accompagné de VFX de qualité, engendre des contenus ambitieux qui vont captiver les téléspectateurs de saison en saison. Ce qui est le but recherché ».
France : viser l’international et faire… genre
Les succès internationaux de la série française Les revenants et de celle danoise Real Humans ont confirmé Arte dans sa volonté de coproduire des séries de genres peu explorés en France, mais finalement plus faciles à exporter. Ce sera notamment le cas dans les prochains mois avec le tournage dans la région de Toulouse de la série Au-delà des murs produite par Fidélité TV.
Car c’est bien là que résident les éventuelles opportunités de marché : écrire international, tourner international pour vendre international. EuropaCorp l’a bien compris et dispose d’un catalogue conséquent de productions facilement diffusables sur le marché anglo-saxon, voire entièrement écrites pour. Certains pourront arguer d’une certaine absence de créativité au profit d’un formatage très… formaté.
Mais, justement, des séries comme Les revenants (Canal+), dont la saison 2 actuellement en postproduction chez Mikros Image, ou encore Les témoins produit par Fabienne Servan-Schreiber (Cinétévé), Pictanovo pour France Télévisions, illustrent cette prise de conscience. Qui, de facto, profite aux studios VFX.
« Nous avions eu la chance de collaborer avec Hervé Hadmar sur Les oubliés (6×52’ pour France 3) en 2008 et il nous a contactés pour réaliser les effets visuels de la série avec Thierry Lhermitte », rappelle Matthias Weber. En tout, sur les six épisodes, le studio aura réalisé environ 200 plans truqués sur 15’. « Ce n’est pas grand-chose mais cela concernait principalement des atmosphères, des couleurs de ciel, de la retouche sur les cadavres qu’on découvre au fur et à mesure ».
Avant même la diffusion sur France 2, le 18 mars 2015, du premier épisode, Les témoins a été vendue en Grande Bretagne (sur Channel 4), en Belgique francophone et flamande, aux Pays-Bas, en Norvège, en Allemagne, en Australie, tandis que de nombreux autres pays sont en cours de discussion. Juste retour des choses, les droits d’adaptation, tout comme ceux de la série Les revenants sont en cours de négociation… avec les États-Unis. Qui diffusent déjà la série de Canal+ en version originale sur Sundance Channel, tandis que Netflix diffuse depuis mars… le remake des Revenants, intitulée The Returned.
Le CNC s’est d’ailleurs félicité en janvier dernier des bons chiffres de l’exportation de la fiction française : en 2013, avait été atteint « le plus haut niveau d’exportations (ventes et préventes) avec une progression de 8,2 % représentant ainsi 179,5 M€, soit le plus haut niveau depuis 12 ans. »
Des ambitions affichées… mais peu suivies
« Aujourd’hui, les ambitions montent à la télévision », explique Alain Carsoux, fondateur de la Compagnie Générale des Effets Visuels, qui a réalisé les effets de la saison 4 de Mafiosa. Produite par Canal+, la série prévoyait 70 plans truqués à l’origine… Et finalement trois fois plus à créer sans pour autant les budgets en conséquence. Pourtant, admet le superviseur, « les moyens techniques sont équivalents à ceux du long-métrage, notamment sur la prise de vues. Et pour des séries d’importance, on se rapproche d’une relation similaire à celle vécue avec une production de film ». « Il va falloir que la télévision se trouve un modèle économique pour apporter réellement de l’argent sur les VFX », complète Dominique Vidal superviseur VFX chez BUF.
« À Trimaran, on a pris des habitudes, mis en place des méthodologies pour tenter de répondre aux demandes des chaînes de télévision et aux producteurs de fiction TV », précise Olivier Emery, cofondateur du studio spécialisé sur les VFX pour la télévision. Sans le cautionner, ce dernier fait remarquer que « les outils sont de plus en plus efficaces avec des coûts humains à la baisse. On paye les seniors au même prix qu’il y a 15 ans ! »
Autre point de vue, celui de Matthias Weber, cofondateur avec Stéphane Bidault, du studio parisien Autre Chose en 2001. Le prestataire spécialisé dans les VFX affiche au compteur une centaine de longs-métrages et autant de productions télévisées. « S’il est vrai que les productions ont tendance à vouloir du vite fait, bien fait – ce qui est difficilement compatible – je ne suis pas prêt à sacrifier la qualité pour le prix. Et je préfère ne pas participer à un projet qui ne dispose pas d’une économie suffisante ».
La clé : collaborer en amont
Mais peut-on se permettre de dire non ? « Plutôt que cela, je pense qu’il est nécessaire, autant que faire se peut, de travailler très en amont avec la production, le réalisateur afin de déterminer ce qu’il est faisable de faire en fonction de l’enveloppe allouée », poursuit le cofondateur d’Autre Chose, plutôt confiant sur l’avenir : « j’ai la conviction que les effets visuels pour la télévision vont très fortement se développer car on note une tendance générale de la fiction française à vouloir se penser à l’international et non plus uniquement sur un ou deux territoires. En outre, les outils deviennent moins onéreux et plus adaptés à ces demandes ».
Parmi les projets sur lesquels le studio a travaillé, on peut citer récemment Péplum, un 3×90’ produit par Noon et Ardimages pour M6. « Sur le projet, nous avons eu à réaliser principalement des décors en images de synthèse et de la multiplication de foules pour un total de près de 160 plans truqués ». Avec un budget estimé à 180 000 € environ pour une quinzaine de minutes truquées, le producteur VFX estime avoir disposé d’un montant en corrélation avec ce qu’il y avait à faire : « On a pu très vite aborder la question des effets visuels et, à la demande du réalisateur, voir comment notre implication pouvait être optimisée. »
Autre Chose a auparavant collaboré sur des séries comme Kaboul Kitchen ou la saison 2 de Maison Close, séries diffusées sur Canal+. Dans les deux cas, le studio a été contraint de recréer des décors en numérique – la capitale d’Afghanistan d’une part, les extérieurs de la maison close d’autre part, tournés ailleurs que le lieu de l’action décrit. « Nous avons mis cette expérience au service de ce que nous proposons actuellement en accompagnant les producteurs qui pourraient avoir encore de la défiance vis-à-vis de la postproduction ».
De Marvel à Cosmos : quand le docu-fiction rime avec VFX
BUF fait partie des acteurs majeurs en termes de création d’effets visuels pour le cinéma. Hormis quelques incursions dans la publicité, jamais le studio n’avait été sollicité pour la télévision. Jusqu’à la sortie en salles du premier Thor, réalisé par Kenneth Branagh. « Nous avons été contactés par l’épouse de Carl Sagan, astronome américain qui avait produit et réalisé dans les années 1980 Cosmos, une série de vulgarisation scientifique qui a connu un énorme succès », explique Dominique Vidal.
…34 ans après la dernière diffusion d’une série qui avait marqué le petit écran, la veuve de l’astronome envisage de produire, avec la 20th Fox et National Geographic, un « reboot » de la série, en s’appuyant sur les avancées scientifiques d’une part, la meilleure qualité des effets visuels et de l’image de synthèse d’autre part. C’est donc grâce à une séquence somptueuse de ride spatial pour Thor que le studio français est apparu dans le radar de la production. « Plusieurs studios avaient déjà été sollicités pour cette nouvelle série et la demande qui nous incombait consistait en 113 plans à réaliser sur six épisodes, incluant des supernova, la naissance de la lune, etc. ».
En dépit des origines nord-américaines, le budget n’en était pas moins clairement établi : quatre jours/homme/plan, ce qui est très peu. L’équipe de BUF s’est certes appuyée sur les assets créés pour les VFX de Thor sans pour autant faire du copier-coller. Si le blockbuster made in Marvel pouvait s’affranchir de réalisme scientifique, il s’avérait tout aussi évident que Cosmos se devait d’être scientifiquement fiable. « Même le côté abstrait des créations était sujet à conversation », se rappelle Coline Six, directrice des productions du studio français. « Il nous a fallu trouver des solutions techniques pour gagner en rentabilité, comme réduire les temps de calcul au maximum et atteindre de 5 à 10 images/seconde ».
Autres astuces mises en place : éviter la simulation via une méthode de construction par scripts ou encore minimiser le nombre de couches par plan. BUF a travaillé sur les effets de Cosmos d’octobre 2013 à avril 2014, avec les premiers livrables fournis 45 jours après le début de production. « Au final, nous avons même créé 260 plans, soit autant que prévu car la production nous confiait au fur et à mesure des plans d’autres studios qui ne parvenaient pas au résultat escompté ».
Pour ce premier essai, couronné de succès et primé aux VES Awards, BUF a parfaitement appréhendé la difficile équation : « nous avions des plannings de pub, avec des exigences de qualité extrêmement élevées, proches du long-métrage ».
Créativité et budget
Créé en 1991, Trimaran s’est rapidement spécialisé dans les effets visuels pour la télévision. En quelques années, son fondateur, Olivier Emery, a vu le niveau d’exigence des chaînes de télévision françaises évoluer pour avoir à l’écran des VFX de qualité sur des productions dites haut de gamme. Exemplaires de cette évolution des mentalités – mais guère des budgets – 2014 est une année importante pour le studio qui a réalisé les effets de deux unitaires : Le soldat blanc d’Erick Zonca (Breakout Films pour Canal+) et Piège blanc d’Abel Ferry (GTV pour France Télévisions).
« Nous avons eu 300 plans à truquer sur le film d’Erick Zonca », rappelle Olivier Emery. « Cela représentait trois mois de travail, sans compter une présence permanente sur le tournage qui se situait au Cambodge, pour un budget équivalent à deux jours/homme/plan ». Et au final un budget de 300 000 € environ, abondé à hauteur de 159 000 € par le CNC via l’aide aux nouvelles technologies en production (voir encadré). « Cette aide NTP est un facteur clé pour les effets visuels à la télévision », précise Olivier Emery, « même si cela n’est pas synonyme de confort ; cela a été un arbitrage permanent pour chaque plan. Il fallait savoir trancher et savoir s’arrêter ».
Sur Piège blanc, l’apport du CNC a représenté 50 % des 260 000 € prévus par la production, sur un budget global de 2,5 M€. Olivier Emery précise : « En règle générale, on sait que les producteurs de fiction TV mettent entre 2 et 3 % de leur budget dans les VFX. Ici, on atteint 10 % ce qui est un cas rare qui nous a permis de travailler avec plus de confort ». Tous les types d’effets visuels ont été utilisés : matte painting, rotoscopie, masques, fond vert, reconstitution 3D, dynamique, particules, explosions, compositing. « Une équipe d’une vingtaine de personnes a été constituée durant plus de quatre mois pour créer ces VFX, avec en particulier une séquence de 4’ de tyrolienne suspendue au câble du téléphérique dans le vide au-dessus de la vallée de Chamonix qu’il a fallu détourer pour pouvoir insérer une mer de nuages de synthèse en 3D qui recouvre la vallée. »
Sur la série Marco Polo de Netflix, Pixomondo a travaillé pendant six mois en production pour créer plus de 255 plans truqués, dans leurs studios de Toronto, Los Angeles et Stuttgart ; « nous avons créé des environnements numériques, des extensions de décors, de la simulation de foules, des serpents full CG et plein d’autres éléments 3D », précise Christophe Malessa… sans toutefois vouloir révéler le montant alloué à ces VFX.
Il préfère pointer le fait que « la créativité est au cœur de notre business. L’équation est simple : atteindre le meilleur en créativité tout en demeurant en phase avec le budget. Cela signifie savoir être flexible car les projets pour la télévision peuvent être plus exigeants côté timing et budget. Pour cela, nous avons porté nos efforts sur la R&D afin de mettre en place des workflow qui nous font gagner à la fois en temps et en efficacité ». L’autre avantage de Pixomondo, non évoqué, est de pouvoir faire supporter un même projet sur plusieurs entités judicieusement installées tout autour du globe pour obtenir une permanence de travail d’un fuseau horaire à l’autre. Ce dont ne disposent pas forcément leurs homologues français…
À l’instar des networks anglo-saxons, les chaînes de télévision françaises multiplient les projets de fiction intégrant des effets visuels. Ne manque encore que le volet budgétaire pour réellement parler de secteur en croissance. Mais la concurrence des fenêtres de diffusion type OTT ou Netflix, de plus en plus présentes sur le territoire, pourrait changer la donne, et ce, très rapidement.